Internet en Bref #39 : Empreinte carbone, fin des réseaux sociaux & Beurettes Révoltées
🔎 LE ZOOM DE LA SEMAINE
Le public ne rigole plus avec l'empreinte carbone
La responsabilité des influenceur·euse·s et créateur·ice·s de contenus dans la promotion d’un mode de vie polluant est sévèrement critiquée par le public depuis ces dernières années. Que ce soit à travers des collaborations commerciales avec des compagnies aériennes ou des agences de voyages, des concours permettant de gagner des voyages à l’autre bout du monde ou encore leur propre mode de vie, rien n’échappe aux critiques. Évidemment, les influenceur·euse·s spécialisés dans le voyage ont été les premiers pointés du doigt, mais aujourd’hui, l’ensemble des influenceur·euse·s sont scrutés par les internautes et des comptes militants comme @payetoninfluence sur Instagram.
En octobre 2023, l’association Greenpeace a publié un rapport dénonçant l’impact néfaste des influenceur·euse·s dans la promotion d’un mode de vie polluant, en décalage avec l’urgence climatique actuelle. À l’image des compagnies aériennes, il leur a notamment été reproché de promouvoir un idéal de voyage basé sur la nécessité de partir loin et de prendre l’avion. Ce qui semble plus inquiétant, c’est que, contrairement aux compagnies aériennes, les messages relayés par les influenceur·euse·s à travers leurs posts ont une influence beaucoup plus forte sur leur audience, qui les admire souvent et cherche à les imiter en participant à ce surtourisme.
Malheureusement, un an après ce premier rapport, des influenceur·euse·s continuent toujours de collaborer avec des compagnies aériennes. Parmi eux, @Payetoninfluence a relevé des comptes ayant plusieurs centaines de milliers, voire plus d’un million de followers. Si le fait de faire gagner des billets d’avion à quelques-uns de leurs fans révolte déjà une partie des internautes, le fait que certain·e·s aient accepté de faire gagner un an de vols gratuits avec certaines compagnies a semblé être la goutte de trop, alors que l’avion représente 2,5 % des émissions mondiales, mais surtout 5 % du réchauffement climatique.
Au-delà du transport, l'influence d'un mode de vie consumériste à travers des vidéos promouvant des marques de fast fashion comme Shein ou Temu, des marques ultrapolluantes comme Coca-Cola, ou des tests d'objets inutiles trouvés sur TikTok, témoigne de cet encouragement à un mode de vie basé sur la surconsommation. Bien que ces vidéos génèrent encore de bonnes statistiques en termes de vues, elles témoignent elles aussi d'un décalage avec les réalités climatiques. Ces concepts sont de plus en plus pointés du doigt, aussi bien pour leur fond (quel est l'intérêt réel d'une telle vidéo, surtout quand c'est la dixième de la série ?) que pour leur forme (pourquoi acheter autant d'objets, souvent des arnaques, qui ne seront jamais réutilisés ?). D'autant que ces produits parcourent souvent de très nombreux kilomètres avant d'arriver dans les mains des créateur·ice·s.
La réponse tient sans doute dans le caractère clé en main de ces concepts, simples, faciles à réaliser et surtout très efficaces en termes de statistiques.
Pour autant, il semblerait que les nombreuses critiques de la part des audiences aient finalement un impact et que les consciences évoluent progressivement dans ce milieu. De plus en plus de personnalités se reconvertissent dans des démarches plus éco-responsables, en s'investissant dans des initiatives écologiques et en remettant en question leur mode de vie. Certains, comme l'humoriste Swann Périssé, ont même opéré un changement complet dans leur production de contenu pour se consacrer à cette prise de conscience écologique, notamment avec son podcast Y a plus de saisons. Les contenus promouvant la sous-consommation, avec des défis comme celui de ne pas acheter de vêtements pendant un an, et un mode de vie plus sobre (parfois jusqu'à l'extrême), sont de plus en plus populaires et témoignent d'un intérêt grandissant du public pour ces nouvelles initiatives.
Récemment, le duo de vidéastes McFly et Carlito a décidé de réaliser son bilan carbone, accompagné par Jean-Marc Jancovici. Un moyen d'utiliser leur influence pour sensibiliser leur audience à la responsabilité écologique, qui a porté ses fruits puisque la plateforme promue pour calculer son bilan carbone a généré plus de 100 000 calculs en à peine vingt-quatre heures.
Cependant, comme le relève le média Reporterre, si cette démarche est louable, les prises de conscience des influenceur·euse·s restent encore trop dépolitisées et centrées sur des comportements individuels. Si le constat est là, aucun message n’aborde encore les inégalités de classe, les différences liées au mode de vie, à la profession ou au pays dans lequel on habite, qui influencent notre empreinte carbone. Aucun message non plus sur le besoin de collectiviser les efforts et d’opérer des changements structurels impulsés par la puissance publique, sans quoi il n’y aura jamais de changement efficace.
🤔ÇA FAIT REFLECHIR...
La domination sociale des réseaux sociaux progressivement mise à mal
Après une période florissante ayant nécessité l'embauche rapide et massive d'un grand nombre d'employé·e·s pour répondre à l'usage intensif lié aux différents épisodes de confinement, le secteur des réseaux sociaux, comme d'autres, a connu de nombreuses vagues de licenciements. La fin de cette ère a également été accompagnée de nombreux enjeux concernant notre rapport aux réseaux sociaux. Les risques psychosociaux et l'addiction des utilisateur·rice·s, la désinformation, les arnaques promues par des influenceur·euse·s, les risques d'ingérence ou encore l'utilisation de nos données personnelles sont aujourd'hui au cœur de nombreux débats. Autant de problématiques qui n'avaient, jusqu'à il y a peu de temps, pas encore été réellement portées dans l'espace public et qui ont considérablement modifié notre rapport en tant qu'utilisateur·rice·s des réseaux sociaux. La possibilité d'une communication de masse, qui a fait la force des réseaux sociaux depuis leur début, est aujourd'hui critiquée, car elle semble surtout mener à une polarisation des débats en ligne, mais aussi au sein de la société, comme le souligne le mathématicien David Chavalarias dans son ouvrage Toxic Data.
Parce que les algorithmes des réseaux sociaux privilégient les contenus qui génèrent des interactions, ils ont, au fil des années, naturellement favorisé les contenus clivants. La domination de ce type de contenu a ainsi encouragé une évolution des interactions entre les internautes, banalisant la violence et le harcèlement, en particulier sur Twitter/X, mais que l'on observe de manière plus générale sur l'ensemble des réseaux sociaux.
Qu'attendons-nous des réseaux sociaux à présent ?
Ces prises de conscience nous ont évidemment rendus plus méfiants quant à notre rapport aux réseaux sociaux. « Vous ne partagez plus beaucoup de moments personnels dans le feed, comme vous le faisiez il y a cinq ou dix ans. Vous les partagez davantage dans les “stories” ou en messages privés », a notamment constaté Adam Mosseri, le patron d'Instagram. Si, pendant plus d'une décennie, c'étaient surtout les aspects de "communication de masse" et d'"exposition publique" qui étaient recherchés par les utilisateur·rice·s, nous partageons à présent bien moins de contenus de manière publique, favorisant les outils de messagerie privée de ces mêmes réseaux. Les attaques constantes contre les communautés marginalisées et la banalisation de la violence ont amené les internautes à se replier sur leurs cercles proches ou à se tourner vers des communautés niches, se regroupant par affinités dans le but de retrouver une forme de sécurité perdue tout en continuant à maintenir un lien numérique avec les autres.
Avec l'adaptation de ces algorithmes à ces nouveaux usages, nos feeds sont désormais remplis de contenus d'inconnus et de publicités ciblées, ayant pour objectif de capter notre attention. En nous orientant vers un usage divertissant plutôt qu'une véritable connexion sociale, le modèle sur lequel les réseaux sociaux ont bâti leur domination est progressivement en train de s'effondrer, transformant ces plateformes en un nouvel espace de consommation passive de contenu, à l'image de ce qu'a toujours été la télévision.
Si le sujet vous intéresse, je vous invite vivement a aller lire cet article de Morgan Tual (disponible gratuitement via Europress)
📰 EN BREF
- La Commission européenne demande des comptes aux plateformes concernant le fonctionnement de leurs algorithmes. Cette demande s'inscrit dans le cadre du Digital Services Act (DSA), en vigueur depuis février 2023, qui impose aux plateformes des obligations pour limiter la diffusion de contenus illégaux et protéger les utilisateur·ice·s. Ce sont surtout YouTube, TikTok et Snapchat qui sont particulièrement pointés du doigt. La Commission européenne cherche à analyser leur impact dans la propagation de la désinformation, de la haine, ainsi que leur rôle dans les campagnes électorales. TikTok, déjà contrainte par la Commission européenne de prendre des mesures pour minimiser ses risques sur la santé mentale des utilisateur·ice·s, a également été sommée de fournir des preuves de ses efforts pour lutter contre la propagande électorale.
- MrBeast a déjà tourné des vidéos qui seront diffusées après sa mort. Le YouTuber le plus suivi au monde a révélé dans le podcast Impaulsive de l'influenceur Logan Paul qu'une série de 15 vidéos post-mortem avait déjà été enregistrée. L'objectif serait de continuer à faire vivre sa chaîne en publiant une vidéo par mois après sa mort. Ces vidéos incluent notamment des blagues macabres et des interactions avec des courriers de fans.
- Le groupe RMC BFM a lancé sa chaîne 100 % digitale BFM2. Cette nouvelle chaîne, complémentaire à BFMTV, se concentre principalement sur des sujets en direct et des formats longs. Sans plateau ni grille de programmes, BFM2 adopte les codes du streaming, en s'inspirant des plateformes ultra populaires comme Twitch et YouTube, pour proposer des contenus longs ou retransmettre des événements en intégralité, avec un ton plus informel. La chaîne est disponible depuis le 30 septembre via l'application BFMTV et sur les canaux 92 pour SFR et 161 pour Free, et sera bientôt accessible sur le canal 243 pour Bouygues, ainsi que sur les télévisions connectées. En revanche, elle n'est pas disponible sur la TNT, contrairement à sa grande sœur.
🖥️ EN MANQUE D'INSPI ?
YOUTUBEURS à CHANTEURS : Artistes ou Fraude ? (Squeezie, Jenny Letellier, Mister V..) par Popslay
En résumé : Le vidéaste Popslay, spécialisé dans la musique et la pop culture, revient avec une nouvelle vidéo où il s'interroge sur la réussite des créateurs de contenu reconvertis en artistes musicaux. Il évoque notamment la difficulté pour certains de concilier leur image de vidéaste, souvent humoristique et légère, avec celle d'un artiste dont le travail est plus sérieux et réfléchi. Si la notoriété acquise en ligne peut les aider à lancer leur carrière musicale, ces créateurs peinent parfois à obtenir une légitimité dans un milieu qui peut leur être hostile, percevant leur succès comme lié à leur image plutôt qu'à la qualité de leur musique. Bien que pour beaucoup la musique reste secondaire, certaines personnalités comme Adèle Castillon ou Bilal Hassani ont réussi une transition complète, conservant leur base de fans au fil des années.
⭐À NE PAS MANQUER
Rien à relever pour cette semaine !
À venir ce mois-çi :
- StreamMates du 18 au 20 octobre 2024 organisé par StreamRunners au profit de l'association Sur Le Chemin de l'Ecole qui aide les enfants à avoir accès à l'éducation à travers le monde.
💜LA RECO DE LA SEMAINE
Beurettes Révoltées !
Cette semaine ce n'est pas une mais plusieurs créatrices qui sont à l'honneur. Elles sont réunies au sein de l'association Beurettes Révoltées. Ces artistes militantes d'Afrique du Nord qui se définissent comme anti orientalistes, anti néocolonialistes dénoncent "l'impact du mouvement Orientaliste sur les représentations actuelles des femmes Nords Africaines et des personnes racisées issues des quartiers populaires". Avec des posts créatifs dans une ambiance très années 2000, elles abordent de nombreux sujets où se mêlent contenus politiques, humouristiques et sensibilisation à la cause féministes et antiracistes toujours en lien avec la culture Internet.
Les jeunes femmes proposent également des actions de terrain en organisant des ateliers de sensibilisation dans des centres sociaux et des groupes scolaires pour valoriser la culture d'origine et les cultures urbaines auprès des plus jeunes.
Les Beurettes Révoltées sont actuellement à la recherche de différents profils (monteurs, cadreurs, comédien, photographes, journalistes) sur Paris et Montpellier pour les accompagner dans leurs futurs projets !
- 4RTOISE -